Une petite fin
Sujet: Un groupe d’étudiants essaye de vivre sa vie alors que l’espace-temps se désagrège autour d’eux.
Date: Août 2010
Ce matin, je fus réveillé par une chaleur intense au front. Je pensais tout d’abord à de la fièvre, mais, en plein mois de juin, cela me paraissait peu probable. Prenant la peine d’ouvrir les yeux, je pris rapidement conscience que ce n’étaient que les rayons du soleil levant. En cette saison, la température pouvait monter très vite et l’atmosphère devenait rapidement étouffante. Normal de se sentir aussi lourd.
Vainquant ma forte envie de rester allongé plus longtemps, je me levai, et allai tourner le verrou de la porte de ma chambre afin de m’habiller tranquillement. Je pris mes affaires d’école, et descendit les escaliers.
Alors, le temps se figea.
Je m’appelle Tristan, Tristan Cellier, étudiant qui, j’en ai peur, n’a rien de particulier comparé à un autre. J’ai échoué dans ce corps au moment de ma naissance, et il y a même des jours où je n’en suis pas mécontent.
Je manquais une marche, et basculait en avant. J’en profitais pour achever ma réflexion : ce jour-là, j’aurais bien aimé ne pas être né, ne serait-ce que pour ne pas souffrir du mal de tête carabiné qui me prenait en ce moment. Ce fut encore à moitié endormi que ma mère m’accueilli dans la cuisine.
Je me servis un petit déjeuner – des tartines, principalement. Finalement je me mis en route vers la gare. Il y avait des jours comme cela, où tout au réveil nous semblait pesant, et aujourd’hui c’était encore pire. Il n’y avait pas un seul chant d’oiseau résonnant aux alentours. Eux aussi devaient avoir du mal à se réveiller. Les arbres ballotés par le vent perdaient de leurs feuilles alors que le printemps n’avait pas touché à sa fin. J’ignorais pourquoi, mais je ne me sentais vraiment pas tranquille. Je sentais que la journée allait être longue. Même le train, lorsqu’il s’arrêta devant moi, me parut peiner plus qu’à l’accoutumée. Il repartit dans un concert de couinements suraigus.
Je regardai les personnes autour de moi, mais constatai que chacune agissait comme si de rien n’était. Alors je me dis que, au fond, je ne faisais que me donner des illusions. Ma vie était ennuyeuse au point que mon esprit se sentait obligé d’interpréter n’importe quel phénomène inhabituel comme étant quelque chose d’important. Je constatais une fois de plus que, en ce monde, je n’étais qu’une victime des romans et des films.
Après tout, qui suis-je ? Étudiant, presque majeur, à quelques mois de son entrée en faculté de lettres. J’aime beaucoup les branches comme la psychologie, mais je suis content d’y aller, car Lucy y va également. J’aime beaucoup cette fille. Je n’ai aucune idée de si je devrais tenter ma chance avec elle, mais puisque je me sens bien en sa présence, autant rester avec le plus possible. J’achevai ma réflexion en me disant que les trains étaient un lieu fort approprié pour un entretient avec soi-même.
Je décidai de me changer les idées et d’oublier ma fatigue. Des personnes autour de moi lisaient des journaux gratuits. Quels étaient les titres aujourd’hui ? Il était visiblement question d’une personnalité connue, dont je serais bien incapable d’associer le nom à la photo, qui aurait fait un voyage je ne sais trop où. Je ne comprenais pas l’intérêt de tels articles. Voulaient-ils conseiller au lecteur de faire le même voyage, parce qu’une célébrité l’avait fait ? Pourquoi pas, c’était un point de vue.
Je descendis du wagon, et fus bientôt rejoins par Alex. C’est un type plutôt sympa. Cela fait déjà plusieurs années que je me suis lié d’amitié avec lui. Il faut dire qu’il est bien plus sociable que moi, mais il apprécie tout autant la solitude, et c’est pourquoi je m’en sens proche. Il va commencer des études en droit, mais j’espère qu’on pourra continuer à se fréquenter une fois à l’université. Curieux d’avoir son avis, j’engageais la conversation sur l’atmosphère de ce jour-là.
-Dis, tu trouves pas que le temps est super lourd depuis ce matin ? On risque d’avoir un gros orage bientôt.
-Ah bon ? J’avais pas remarqué, mais faut dire qu’avec tout ce que j’ai bu hier soir, je me sens un peu comme d’habitude ces matins-là.
Nous arrivâmes dans la cour du lycée. Je proposais d’attendre le début des cours à l’extérieur, espérant que l’air m’aiderait à me réveiller. Alex ne fut pas contre cette proposition. D’autres amis nous rejoignirent bientôt : Pierre, le matheux, Vincent et sa copine, Julie, Eva, toujours joyeuse… Lucy.
La cloche sonna, et nous nous rendîmes en cours. Je ne sais plus de quel cours il s’agissait, toujours est-il que je me sentais trop fatigué pour me concentrer. J’envisageais un instant de demander à me rendre à l’infirmerie, mais une autre élève me prit de vitesse et demanda à y aller, et je ne voulus pas avoir l’air de quelqu’un profitant de la requête d’un autre pour quitter un cours. Aussi restais-je en classe jusqu’à sa fin, qui fut autant de temps durant lequel je n’appris rien, et parvenait tout juste à soulever mon stylo pour prendre des notes. D’autant que je me souvienne, l’enseignant avait lui aussi du mal à utiliser ses craies, et les lâchait souvent, ce qui n’améliorait en rien la qualité de son cours.
Quand enfin sonna l’heure de la pause, je me levai avec difficulté pour me rendre aux toilettes, espérant que mon état s’améliorerait par la suite. Alex m’accompagna. Nous sortîmes dans le couloir, et, à peine avions-nous fait quelques pas qu’il vacilla et tomba à la renverse. Je tâchai de le rattraper, mais ne pu qu’amortir sa chute. Je n’avais pas remarqué qu’il puisse être aussi lourd.
Regardant par la fenêtre, je m’aperçu que les branches des arbres, qui ordinairement pointaient fièrement vers le haut en cette saison, pendaient mollement en direction du sol. Les hirondelles marchaient sur le sol pour se déplacer, l’orage allait-il être si fort que ça ? J’avais l’impression que même les nuages avaient perdu en altitude.
-C’est space, hein ? C’est la première fois que je vois un truc pareil.
Mes camarades avaient fait les mêmes constatations. Je fus donc soulagé de savoir que ce n’était pas qu’un effet de mon imagination. Nous demandâmes à l’enseignante ce qu’elle pensait de tout ceci. Pour elle aussi, c’était la première fois que cela arrivait. Personne n’avait encore jamais entendu parler d’un tel phénomène.
-Quoi qu’il en soit, ajouta-t-elle après nous avoir répondu, il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Il se produit des phénomènes similaires dans le cas des séismes. Ils sont très fréquents, mais il n’y a qu’une infime partie d’entre eux qui sont assez intenses pour que nous puissions les percevoir. De même, notre perception de soi peut varier en fonction de nombreux facteurs externes, et il y a des jours où cette nous ressentons collectivement cette perception de façon plus marquée.
Deux pigeons commencèrent à se battre sur le rebord de la fenêtre. L’un d’eux finit par abandonner et alla trouver une place ailleurs. Ils étaient nerveux, tout comme moi.
A partir de la fin de la matinée cependant, petit à petit, la sensation de pesanteur s’estompa. Je me sentis soulagé de pouvoir à nouveau respirer et marcher normalement. Mes amis agirent comme si rien ne s’était passé. Ce fut à peine s’ils s’étaient rendus compte d’un changement. Je compris alors que cela n’avait été qu’un coup de fatigue lié à la canicule. Il allait très certainement y avoir de l’orage ce soir-là, mais je fus soulagé d’avoir résolu le mystère.
Vers midi, nous allâmes à la cantine y prendre notre repas. J’étais content, comme lorsqu’on vient de finir un travail écrit : on sait que le pire est derrière nous, et on aime la vie d’autant plus. J’étais content d’aller bien.
Le repas était bon, même pour une cantine de lycée. Lucy vint vers moi peu avant la reprise des cours.
-Samedi prochain, je fête mon anniversaire, ça te dirait de venir ?
Ravi de cette idée, j’acceptais avec enthousiasme, me réjouissant d’avance, sans trop savoir pourquoi. J’avais simplement un drôle de frisson dans le ventre, comme si cette fête cachait quelque chose qui en ôterait la saveur, était-ce le fait de savoir cette fille toute proche de moi, mais inaccessible ? Probablement.
L’après-midi se passa sans incident. Je prenais des notes, enthousiaste, tout en regardant le ciel d’un bleu immaculé au travers de la fenêtre. Lorsque la journée de cours fut terminée, ce fut d’un ton plein d’énergie que je dis au revoir à mes amis, et couru vers la gare. Le train n’était plus le tas de ferraille en peine que j’avais vu le matin, il me semblait même que lui aussi semblait plus enthousiaste à conduire ses passagers à leurs destinations.
Sur la route menant chez moi, je constatais que les oiseaux n’avaient pas eu l’air de se calmer, mais qu’au moins ils volaient maintenant, comme ils l’avaient toujours fait. Le pincement au ventre ne s’était toujours pas calmé cependant, et je me sentais toujours harcelé par un sentiment des plus incompréhensibles pour une journée ordinaire comme celle-ci.
Comprenant là que j’avais besoin de repos, je décidai de prendre un raccourci jusque chez moi, à travers un verger. Je le traversais et constata avec satisfaction que les branches des arbres fruitiers pointaient vers le haut, comme d’habitude.
J’arrivai au niveau de la barrière qui en délimitait l’enceinte, et lâchait mes affaires de l’autre côté. Elles tombèrent après un moment qui me parut plutôt lent. Je me hissai à mon tour sur la barrière, et m’élançai avec énergie de l’autre côté. Je me vis bondir à une hauteur d’approximativement trois mètres, au point que j’eus le vertige en regardant en dessous de moi. Fermant les yeux, je me préparai à une réception difficile. Mais j’atterris en douceur, comme si ma hauteur de chute n’avait guère mesuré plus de cinquante centimètres.
Étonné, je ramassai mes affaires et poursuivis prudemment ma route jusqu’à chez moi. Je tentai quelques sauts, et constatai à chaque fois que je montais bien plus haut que je ne l’aurais du.
Quelque chose ne tournait pas rond.
J’entrai chez moi en ayant l’impression de rêver. Ma mère m’accueillit avec un grand sourire.
-Alors, passé une bonne journée ?
-Oui, très bonne, merci.
-Je m’absente quelques heures. Quand il rentrera, tu pourras dire à ton père de jeter un œil à la balance ? Elle m’a parue complètement déréglée.
-J’y penserai.
Je montai dans ma chambre en courant. Quel que fût le phénomène qui se produisait en ce moment, j’avais l’intention d’en profiter le plus possible. Le parquet était particulièrement glissant, et je tombai à la renverse, sans vraiment me faire mal. J’attrapai divers projectiles à ma portée, et les lançai au dessus de moi, m’émerveillant en les voyant tomber bien plus lentement qu’ils ne l’auraient du. C’était bien réel, et aussi légèrement inquiétant.
Je me connectai à internet pour essayer d’en savoir plus à ce sujet. Apparemment le phénomène n’était pas isolé. Il se produisait un peu partout dans le monde.
Une heure passa, puis deux, et j’avais l’impression d’être allongé dans une baignoire en train de se vider : à mesure que le niveau de l’eau baisse, sa portance diminue, et on retrouve son poids normal. Je retentai de sauter, et arrivai à une hauteur dont j’avais l’habitude. J’étais soulagé, tout était redevenu normal. Bien sûr, mes sauts me paraissaient petits, comme lorsque l’on descend d’un trampoline et qu’on est déçus de ne plus pouvoir monter aussi haut.
Le soulagement et l’excitation passée me plongèrent dans un état de paresse profonde, et je passai mon après-midi devant l’ordinateur, un livre à portée de main. Vers dix-neuf heures, j’entendis appeler à table. Je me levai avec peine, et marchai jusqu’aux escaliers. A peine eu-je posé un pied sur la première marche que ma jambe ne supporta pas mon poids, et je du me rattraper de justesse à la barrière. Un frisson me parcouru.
« Non ! Ça recommence. »
Personne ne mangea beaucoup ce soir-là. Après le repas, nous nous affalâmes sur le canapé pour regarder les informations. En Floride, le lancement d’un satellite avait rencontré un incident : probablement un défaut dans la distribution du carburant qui avait réduit la puissance du moteur, qui n’aurait alors plus été capable de fournir une poussée suffisante. Afin d’éviter tout risque, ils avaient procédé à l’autodestruction du lanceur. En orient, un important barrage avait brusquement rompu, inondant toute une vallée. Le service civil affirmait que c’était du à une mauvaise gestion de l’entretient, et que des précautions allaient être prises pour d’autres barrages afin que ce genre d’incident ne se reproduise plus sans un minimum de contrôle.
J’allai me coucher, sans avoir l’esprit vraiment tranquille, et dormi d’une traite jusqu’à ce que mon réveil vienne mettre fin à ce sommeil réparateur. Tout semblait alors être normal, mais j’avais l’intuition qu’il ne fallait pas s’y fier. Je menai ma vie de tous les jours, sans que ne soit parti ce pincement au cœur qui agissait en moi comme une sonnette d’alarme. Nous étions un mercredi : les cours commençaient plus tard pour notre classe. Je ne pus donc voir mes amis avant qu’ils ne commencent.
Le début de matinée se déroula sans encombre, mais, dès que la pause fut arrivée, nous décidâmes d’aller chercher un journal. D’ordinaire, les événements du monde extérieurs nous intéressaient peu, mes amis et moi, mais à présent que ces événements nous concernaient directement, nous nous sentions d’autant plus excités à l’idée d’en savoir plus.
Nous apprîmes donc que tous les vols étaient suspendus jusqu’à nouvel ordre depuis que plusieurs avions s’étaient écrasés juste après le décollage. La nuit précédente, une activité sismique et volcanique anormalement élevée avait été enregistrée un peu partout dans le monde. Page suivante, avis aux randonneurs concernant les balades en montagne : prudence, car plusieurs disparitions avaient été signalées entre hier et aujourd’hui suite à des avalanches et à des glissements de terrain. Rubrique sport : le record de saut en hauteur aurait été battu haut la main, mais ce record attendait encore d’être officialisé.
À la pause suivante, je remarquai que le monde autour de moi semblait à nouveau léger, comme la veille. J’incitai alors mes amis à me suivre à l’extérieur, et jaugeait le balcon du premier étage.
-Record de saut en hauteur, tu parles. On va faire une petite expérience.
Je pris mon élan et m’élançai soudainement vers le balcon. Un effort deux fois moindre aurait suffi à me faire atteindre mon objectif. Je heurtai le mur situé au dessus, et atterrit en douceur sur le balcon.
Bientôt, tous les témoins de mon exploit s’aperçurent que leur sensation de légèreté ne relevait pas que de l’illusion. Les plus courageux essayaient de juger la hauteur qu’ils pouvaient à présent atteindre, tandis que d’autres, moins confiants, tâchaient de s’accrocher aux supports qui leur tombaient sous la main. Pour ma part, je descendis du balcon par où j’y étais monté.
-Franchement, fit Alex, j’avouerai que c’est flippant.
L’homme est véritablement sans défenses devant quelque chose qu’il n’arrive pas à comprendre, et nous avions tous de la peine à assimiler ce que nous vivions. Cependant, je ne me sentais pas totalement dans l’incompréhension, puisque je compris assez vite que le phénomène était cyclique. Aussi ne m’étonnai-je pas de voir mon poids augmenter à mesure que la journée avançait.
Les cours étaient sensés se terminer à dix-sept heure, pour nous, mais ils s’interrompirent à seize heure à cause du premier gros incident.
Un fracas assourdissant secoua le lycée. Sur le coup de la surprise, l’enseignant, affalé sur sa chaise, lâcha sa craie, qui se brisa en de multiples éclats blanchâtres. L’alarme incendie retentit, et nous dûmes nous soutenir les uns les autres pour parvenir à quitter le bâtiment. Je tâchai de me renseigner pour savoir ce qui s’était passé, mais j’eus bientôt ma réponse : deux immeubles situés à côté du lycée s’étaient effondrés subitement. Ils étaient assez anciens, je me doutais que leurs fondations n’avaient pas supporté une augmentation de poids significative. Moi-même j’éprouvais de grande difficultés à faire ne serait-ce qu’un pas.
Une annonce du directeur nous informa que l’école suspendait les cours jusqu’à nouvel ordre en raison d’un cas de force majeure. Ayant retrouvé Alex, Pierre et Eva, nous nous mîmes d’accord sur le fait qu’il était plus prudent de quitter la ville et d’aller nous réfugier à la campagne loin des potentiels effondrements, dans une clairière sympathique que connaissait Alex. Pour ma part, je ne voulais pas qu’on y aille sans prévenir Lucy. Je la trouvai en compagnie de sa sœur. Elle trouva notre idée bonne et accepta volontiers de nous accompagner si sa sœur pouvait venir également. Nous serions donc six. J’appelai mes parents pour les informer de la situation, en leur expliquant que nous allions loger sous tente. Ma mère affirma être d’accord avec notre idée. Elle-même et mon père avaient l’intention de dormir dans la voiture ces prochains jours, juste par mesure de sécurité.
Lorsqu’enfin marcher redevint supportable, nous fixâmes un point de rencontre à l’extérieur de la ville. Je savais qu’il nous restait encore plusieurs heures de répit avant que la sensation de lourdeur ne revienne. Il fallait en profiter.
Je sautai dans le premier train, rentrai chez moi à la hâte, rassemblai mes affaires, ma tente ainsi que de la nourriture, et reparti aussitôt. J’étais soulagé de me sentir comme à la « normale », et je savais que nous devrions profiter de l’instant de légèreté à venir pour nous déplacer rapidement jusque là où nous souhaitions nous rendre.
Lorsque nous fûmes prêts, Alex nous guida à travers les champs jusqu’à un bois situé à quelques kilomètres de la ville. Nous avancions rapidement, et il était aisé de porter nos affaires. Sur la route, un peu plus loin, je pouvais voir des colonnes de voitures qui quittaient elles aussi la ville.
Nous arrivâmes dans la clairière dont nous avait parlé Alex et nous y installâmes aussi vite que possible. Pierre avait amené avec lui son ordinateur portable, des batteries de rechange ainsi qu’une petite antenne qui nous permit de regarder la télévision. C’était la panique dans toutes les grandes villes. Cet après-midi, des quartiers entiers s’étaient effondrés, causant la mort de centaines de personnes. Les pompiers étaient restés bloqués, et n’avaient pu intervenir qu’une heure plus tard.
En Italie, nous apprîmes que le Vésuve était entré en éruption. Pierre émit l’hypothèse que, durant les périodes de légèreté, le magma souterrain pouvait soulever bien plus aisément les roches qui l’empêchaient d’ordinaire d’atteindre la surface. D’autres éruptions volcaniques n’étaient pas à exclure dans d’autres parties du globe. Pour finir, en France, le cœur d’un des réacteurs d’une centrale nucléaire avait fait une surchauffe, et toute une région était à ce moment-là menacée d’irradiation. Par précaution, les autres centrales avaient cessé toute activité.
-Mais bordel, qu’est-ce qui se passe ici ?
Nous sentions tous que la planète était peu à peu gagnée par le chaos. Des mouvements de fanatiques apparaissaient dans le monde entier, affirmant qu’il touchait à sa fin, que si même la gravité nous trahissait, alors plus rien ne pourrait sauver ce monde.
J’entendais des craquements au loin. J’essayais d’en trouver la cause, et l’associait bientôt à la chute des arbres. Mon hypothèse se vit confirmée lorsqu’un arbre s’effondra au bord de la clairière. Je décidai de m’éloigner du campement pour aller l’examiner. Je m’aperçu alors qu’il était pourri, comme rongé par des années de décomposition. A ce moment-là, nos masses étaient plus basses que d’ordinaire, il ne s’était donc pas effondré sous l’effet de son propre poids. J’eus à nouveau un frisson, et décidai de rejoindre les autres sans leur faire part de mon inquiétude. Le monde avait déjà assez de soucis comme ça, il était inutile d’en rajouter.
Certains pays commençaient d’ores et déjà à évacuer leur population vers des abris mieux adaptés. Dans notre pays, il était conseillé de rejoindre l’abri anti atomique le plus proche, ou un point dénué de tout risque lié à la chute d’objets. Des points de rendez-vous étaient fixés auxquels nous devrions nous rendre afin d’être évacués vers un abri plus important. Nous prévoyions de nous déplacer jusqu’au plus proche d’entre eux le lendemain. J’appelai mes parents pour les rassurer sur notre situation, puis nous nous endormîmes tous les six, du mieux que nous le pouvions.
Durant la nuit, j’ouvris un œil, et la première chose que je fis fut de jauger ma masse. Elle était proche de la normalité. Je regardai l’heure : quatre heure trente. Je profitai de ce moment de répit pour faire le bilan de ce qui s’était passé ces deux derniers jours. A nous il ne nous était pas arrivé grand-chose, mais en à peine deux jours, la terre avait changé de visage du tout au tout. Il s’agissait d’un incident sans précédent, et cela avait quelque chose d’excitant. J’étais motivé à rester en vie pour pouvoir m’en rappeler plus tard, mais avant tout pour avoir une chance de savoir ce qui avait bien pu provoquer pareil phénomène.
Je décidai de sortir prendre l’air dans la clairière pour profiter d’un instant de répit. Je commençai même à emballer mes affaires, tout en laissant les autres dormir. J’évitai aussi de m’aventurer du côté de l’arbre mort. La pensée des récents événements me provoquait véritablement un malaise, heureusement que j’étais à l’extérieur, profitant de l’air pur avant que nous partions nous exiler dans un abri le temps que toute cette crise cesse.
Un cri parvint de la tente, et je vis Eva en sortir, apeurée. Je couru pour voir ce qui se passait. Pierre sortit à son tour, suivi de Lucy, protégeant sa sœur. Ils regardaient nerveusement en direction de la tente.
-Qu’est-ce qui se passe ? Demandai-je.
Personne ne répondit. Je décidai d’aller moi-même voir ce qu’il y avait de si effrayant. Je glissai prudemment la tête à travers l’entrée, et vit un homme adulte qui se regardait dans un miroir.
Cet homme était Alex.
Je le savais car je reconnaissais la cicatrice qu’il avait sur la nuque, petit souvenir dont j’avais été témoin. Il se tourna vers moi et me regarda, une larme coulant de son œil.
-C’est bête, avec un espace sens dessus-dessous, il faut maintenant que le temps s’en mêle.
Je l’aidai à sortir de la tente. On pouvait voir les lueurs de l’aube qui apparaissaient. Non, je ce n’était pas une illusion, simplement un affreux cauchemar face auquel je n’avais aucune idée de la façon dont il me fallait réagir. Mon meilleur ami se tenait devant moi, dans un corps de trente ans plus âgé que lui-même ne l’était réellement.
-Ne t’inquiète pas, on va finir par se réveiller, tu verras.
-Oui, c’est vrai, c’est la seule solution…
Il fit un pas en direction des autres. Il se voulait rassurant, pour montrer qu’il était toujours Alex, et qu’il aimait toujours autant faire la fête.
-Ne m’approche pas ! Cria Eva, sur la défensive. D’un côté, je la comprenais, à sa place j’aurais sans doute moi aussi tout fait pour m’éloigner de ce mal inconnu, mais je ne pouvais trahir Alex ainsi.
-Tes cheveux ! S’exclama Pierre. Ils blanchissent !
C’était vrai, il vieillissait encore, inexorablement. Ne pouvant plus supporter cette vue, tous partirent en courant. Ne restait plus que mon meilleur ami et moi.
-Tu devrais aller les rejoindre. C’est foutu pour moi de toute manière.
-Qu’est-ce que tu racontes ? Il faut qu’un médecin t’examine tout de suite.
-Le risque de mourir est grand pour tout le monde. Ce n’est pas ma mort qui y changera quoi que ce soit. Si j’y parviens, je démonterai le camp et tâcherai de vous rejoindre dans l’abri où on sera. Va t’occuper de Lucy, plutôt.
Je lui souris.
-D’accord, mais je t’interdis de crever avant moi !
Je partis dans la même direction que les autres. Le point de rendez-vous était à une quinzaine de kilomètres. Je fus soulagé de voir qu’ils m’attendaient à la lisière de la forêt. Nous nous mîmes donc à courir autant que nous le puissions tant que nous étions légers.
Un grondement retentit soudain. Il était grave et profond. Inquiet, je m’arrêtai. Les autres firent de même. Je sentais de légères secousses sous mes pieds. C’était inquiétant car les séismes étaient peu fréquents dans cette région. Cela signifiait que même ici la croûte terrestre était fragilisée… Alors, en même temps que le sol se dérobait sous moi, le temps sembla se figer. Je me vis tomber lentement, d’autant que la gravité était faible, à ce moment-là.
Le soleil commençait à se lever, mais ce n’était pas le même que d’habitude. Celui de l’habitude m’aurait annoncé une journée tranquille, où je serais allé retrouver mes amis avant de nous rendre en cours.
Lucy était à côté de moi. Elle criait, elle non plus n’avait pas de sol où se retenir. Moi qui pensais que nous fêterions son anniversaire une semaine plus tard, j’allais malheureusement être déçu. Je sentais qu’elle recherchait des yeux sa petite sœur, mais moi-même ne parvint pas savoir à où elle était. Pierre était en face. Il avait encore son ordinateur sous le bras. Quand à Eva, sa joie l’avait quittée pour de bon cette fois.
Enfin la chute s’arrêta. Je sentais comme une forte odeur de souffre se mettre à ronger mes poumons. Il faisait chaud ici. Je ne parvenais pas à respirer. Voilà qui m’éclairait sur les circonstances de ma mort, pour laquelle j’avais toujours éprouvé une curiosité morbide.
Je crois que ce brusque ralentissement du temps n’était pas un phénomène isolé, et que nous en faisions l’expérience en ce moment Cela était sûrement dû à une distorsion de l’espace-temps, et me permit de sentir à loisir mes poumons se consumer, et mon cœur, voyant qu’il n’y avait pas d’oxygène à répandre dans mon organisme, ralentir progressivement ses battements, je pu sentir ma conscience s’endormir, bercée par une douce chaleur, comme à ma naissance.
Je m’appelle Tristan Cellier, étudiant bientôt majeur, passionné pour la psychologie et amoureux d’une fille qui ne veut pas de cet amour… et aujourd’hui, je suis mort.
Note: à l’époque cette histoire m’est venue en lisant des articles sur les ondes gravitationnelles. La physique c’est beau!
Envie de plus de romance à l’eau de rose? Je vous renvoie à La Lumière.